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Joseph Lenci, vétéran de la Seconde Guerre mondiale mis à l’honneur
Le 12 août 2024, lors de la commémoration de la libération de la ville de Privas, le Maire lui a remis la médaille de la ville pour les services qu’il a
rendus à la Patrie.
M. Lenci au centre, entouré du Maire de Privas M. Michel Valla à gauche et du Maire de Sécheras (sa ville de résidence) M. Pascal Balay à droite,
lors de la commémoration de la libération de la ville de Privas. (Photo : Hadrien Laffont--Hebrard)
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Mobilisation et débarquement en France
Joseph Lenci est né le 30 juin 1925 à Casablanca, au Maroc. En 1944, il est mobilisé et rejoint le 4e régiment des Tirailleurs Marocains.
« Quand j’ai été mobilisé, les gendarmes sont venus la veille pour que je me présente le lendemain à Marrakech. Je n’ai pas eu de délai. Ils
sont arrivés comme ça, à brûle-pourpoint. En arrivant [à Marrakech], on était plusieurs copains à partir. Je leur ai dit : « Je vais te faire
boire à Marrakech (on allait au restaurant, boire un café,…). Penses-tu ! Il y avait la gare, de chaque côté des militaires et devant le camion.
On n’a pas pu aller au restaurant »
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Le 15 août, il participe au débarquement de Provence, et débarque sur la plage du Dramont, à Saint-Raphaël.
« Les bateaux étaient restés au large, et on était monté sur des barges. Elles avançaient tout doucement, tout doucement. Les Allemands étaient
en haut de la butte, et ils bombardés. Ça tombait à droite, à gauche… Quand on est arrivé à 200 mètres du rivage, on a baissé la porte et on a
avancé. À droite, à gauche, il y avait des copains qui mourraient. On était pris en tenaille : eux ils étaient déjà en position et nous on
arrivait. Alors ils nous voyaient arriver. Ils n’y allaient pas aux fusils, ils y allaient à la mitrailleuse »
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Après le débarquement, il remonte la France, participant à la libération de Briançon, de Grenoble, de Belfort, de Colmar, de Strasbourg,… Le rôle de son
régiment était de déminer devant les chars d’assaut. Avec la deuxième Division Blindée du Général Leclerc, il libère le Struthof, seul camp de concentration
en France. Le 1er avril 1944, il est blessé en traversant le Rhin.
« Quand on a passé le Rhin, on a bataillé. Les Allemands, ils étaient de l’autre côté, sur toute la rive, et nous avec les barques on arrivait,
et ils nous bombardaient. De temps en temps, un obus, sur une barque... Finalement, j’ai eu de la chance. »
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Après un séjour à l’hôpital, il rejoint son armée. Il participe à la campagne d’Allemagne, jusqu’au « Nid d’Aigle », chalet servant aux réceptions nazis.
De toute la guerre, il raconte qu’il a eu le plus peur deux fois.
« [la première fois], on était arrivé à Stuttgahrt, et on a était obligé de fouiller toutes les maisons. Alors tout d’un coup, on voit une porte
avec mes amis Canette (on l’appelait Canette parce qu’il buvait de la bière) et Rossignol, on ouvre la porte, et on descend, et il y avait des
lits de chaque côté. Et tout d’un coup la lumière s’éteint. On s’est dit : « ça s’éteint, on est pris dans un piège ». On avançait, on avançait
tout doucement. J’avais la chair de poule. J’ai dit : « comment ? On est arrivé ici, en Allemagne, on n’a rien eu, et on va se faire tuer pour
rien ! ». J’ai dit : « Dédé, on va se mettre dos à dos », et on avançait comme dans les films, tout doucement, tout doucement, et on regardait
de tous les côtés. On avait fait peut-être 40 ou 50 mètres, on voit un rond avec de la lumière. Et il y avait des escaliers en fer, c’était la
sortie vers la rue. On n’a jamais été aussi content de de se retrouver dans la rue. […] La deuxième, on était à Bulle, chez l’habitant, et toute
la nuit mon copain Canette et moi on avait couché avec les deux filles qu’il y avait, et le matin, la fille me dit : « Promenade ? ». Alors on
est parti sur un chemin de terre, et tout d’un coup elle s’est mise à courir et d’un bosquet elle a sorti un revolver. J’ai dit : « Canette, tu
te mets derrière moi, au moins si elle en tue un elle n’en tue pas deux. ». La fille elle avançait, elle avançait, de temps en temps elle
s’arrêtait. J’ai dit : « Reste toujours derrière moi, et si elle arrive à un mètre, je vais essayer de me jeter sur elle ». Finalement, elle est
arrivée et elle m’a donné le revolver. C’est les deux fois où l’on a eu peur. Pendant la guerre, on se disait : un jour on est vivant, le
lendemain on est morts. C’était le destin. Mais mourir bêtement ! »
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Après la guerre
Après l’armistice le 8 mai 1945, il reste en Allemagne avec les troupes d’occupation, qui s’assurent qu’il n’y ait pas de résurgence du mouvement nazi. Comme
il n’y a pas de casernes, il loge chez l’habitant. Il obtient sa démobilisation en mai 1946, afin de pouvoir retrouver ses parents qu’il n’a pas vu depuis
plusieurs années.
« J’ai fait la demande pour être rapatrié parce qu’ils ne nous rapatriaient pas. J’ai pris mon courage à deux mains, sans le dire au capitaine
ni à personne (j’aurais pu passer au conseil de guerre), j’ai écrit au ministre de la Guerre, pour demander à être démobilisé. […] Je suis arrivé
à la gare de Casablanca, et en descendant du train, qu’est-ce que je vois ? Mon père qui ramassait des colis (il travaillait aux P.T.T. (ancien
nom de La Poste), ndlr). Ça a été un choc ! »
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Il revient par la suite en France, travaillant à l’usine E.D.F. de Valence. Mais il est mal accueilli.
« [On m’a] traité de tous les noms d’oiseaux, [dit] que je venais manger le pain des Français. […] une femme, de la C.G.T. à Valence, avait fait
paraître un imprimé comme quoi un étranger venu d’Afrique venait prendre la place à un Français, en parlant de moi. »
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Même après avoir été démobilisé, la guerre le poursuit :
« [Durant la guerre, en Alsace], Il y avait un copain à moi, George B. qui a été blessé [par les Allemands] sur le chemin, à 20 mètres de la
ferme où on était arrivé. Il était là, il pleurait, il appelait au secours. J’ai dit au capitaine : « Mon capitaine, je vais aller le chercher. ».
Il m’a dit : « Joseph, si tu sors, au lieu que ce soit les Allemands qui te tuent, c’est moi qui te tue. ». [...] Il est mort comme ça. Quand tu
vois à 20 mètres un copain appeler au secours ! [Après la guerre], ses parents me téléphonaient chaque jour au bureau pour que j’aille les voir.
Moi, je disais au collègue : Si c’est B. qui appelle, je ne suis pas là. Ça passait comme ça, des mois sans arrêt ils téléphonaient. Un beau jour,
le directeur m’a dit : « M. Lenci, vous allez voir M. B., sinon je vous mets à la porte de la société ». J’ai été obligé d’aller les voir, et à
contrecœur, je leur ai raconté comment ça s’était passé. Quand tu dois raconter aux parents la mort de leur fils… J’en ai encore la chair de
poule. »
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Aujourd’hui à la retraite, il possède une mémoire exceptionnelle. Sa recette miracle : « Pourquoi je suis là à 89 ans ? Je n’ai jamais bu, jamais fumé, j’ai
joué au football jusqu’à 60 ans. ».
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